L’impulsion vers le mysticisme – le besoin d’expérimenter une dimension au-delà du monde matériel, de connaître et de revenir à l’Essence spirituelle de la Vérité – est inhérente à toute personne humaine, quelle que soit sa religion. Les êtres humains sont imprégnés de cette tendance à divers degrés : certains de manière importante, d’autres en moindre mesure. Certains ont l’occasion de la développer et de l’actualiser dans leur vie quotidienne, d’autres pas. Néanmoins, cette tendance est présente en chaque être humain.
Si le Soufisme est défini comme une mystique, ou le chemin du mystique, son message est adressé à tous, et non pas aux seuls adeptes d’une religion. Toute forme de foi a son soufisme (Tasawwuf). Dans chaque nation et communauté il y a eu des soufis, bien qu’ils aient pris d’autres noms et aient adopté des pratiques différentes.
L’être humain est constitué d’un corps charnel, mais également d’une autre partie communément appelée « soi individuel » (nafs). L’expérience spirituelle active ce « soi ». Tel un courant électrique, elle traverse l’être humain amenant à la lumière des possibilités inexploitées. L’activation du « soi » permet un certain degré de conscience et d’intuition. Commence à apparaître la sensation que le « soi individuel » reflète un autre « Soi », celui d’un Etre Suprême. Nous prenons conscience de l’action de Dieu dans et par la création.
Beaucoup de personnes atteignent ce niveau de conscience à un moment donné de leur vie. Une rencontre, un événement ou une réalisation les ouvre à une réalité plus grande qu’eux-mêmes. Pour beaucoup, ce niveau de conscience est suffisant. Cependant, d’autres en veulent plus : entrer en contact avec Dieu, « voir » le Divin, expérimenter la Vérité. N’être seulement qu’une partie du Tout est, pour eux, insuffisant : ils souhaitent l’extinction dans le Tout, l’Eternel. Ils souhaitent que leur foi progresse spontanément et continuellement, à la manière de l’eau qui coule d’une fontaine. Ils se languissent de réaliser de manière personnelle que « Dieu est plus près de lui que sa veine jugulaire » (Coran 50 :16). Comment ce désir peut-il être satisfait ? Dieu est l’Etre Sublime ; les hommes eux sont des êtres grossiers. Leurs sens leur permettent d’entendre, de toucher, de voir, de goûter et de sentir les choses matérielles, mais l’Être Suprême échappe à ces moyens de perception. Comment une particule peut-elle communiquer avec le soleil? Comment une partie peut-elle devenir le tout ? Les êtres humains ont, de tout temps, essayé de résoudre ce dilemme.
Enseignements Soufis
Selon les enseignements du Tasawwuf, la voie d’expérimentation de la Présence Divine part de l’intérieur. Il est dit que « celui qui se connait soi-même connait son Seigneur » (man ‘arafa nafsahu faqad ‘arafa rabbahu). Dieu est présent, mais les individus ne peuvent pas voir le Tout-Puissant car l’ignorance voile leurs yeux et la rouille couvre leurs cœurs. L’individu moyen est égocentré. Ce n’est qu’une fois le cœur poli et le soi individuel (nafs) purifié que la rouille tombera et que les yeux (du cœur) deviendront capables de « voir » Dieu.
Grâce à des années d’efforts, les maîtres soufis développèrent une approche scientifique en vue de la réalisation de ce perfectionnement. Ils découvrirent que, en plus du mental, les êtres humains possèdent d’autres centres de conscience qui servent de facultés intérieures pour parvenir à la connaissance. Parmi ces derniers, le cœur occupe une place prépondérante. Grâce à une pratique consciencieuse, les maîtres du soufisme perfectionnèrent des techniques d’activation du cœur, cultivant ainsi intuition et prise de conscience profondes.
Le cœur poli devient un miroir, il capte la lumière de la Vérité qui se reflète dans notre conscience. Cette lumière rend explicite le fait que, derrière les phénomènes matériels, existe un Etre, dont tout ce qui se trouve dans l’univers est le reflet. Notre propre être reflète l’Être supérieur.
Découvrir et réaliser le potentiel divin aboutit finalement à une foi que rien ne peut faire vaciller et à la certitude de la Vérité. S’en suit la soumission complète au Tout-Puissant, comme une goutte de pluie se soumet à l’océan. Vous ne voulez que conformément à la volonté de Dieu ; chaque action n’est effectuée que pour l’amour de Dieu.
Grâce à l’obéissance de « celui qui a renoncé à lui-même », le disciple commence à reconnaître la Présence divine dans chaque événement et circonstance. La conscience de Dieu l’imprègne en tout temps. Il ou elle devient un serviteur sincère du Tout-Puissant. En fait, le soufisme n’est rien d’autre que sincérité, intérieure et extérieure.
Le soufisme ne se focalise pas uniquement sur la purification individuelle. Luttant pour le renoncement à lui-même, le salik (voyageur spirituel) consacre également ses intuitions à l’amélioration de la condition sociale et culturelle de la communauté, de la nation et de l’humanité en général. Cet engagement dans le service fait du soufisme une force dynamique, transformatrice à tous les niveaux, personnel et global.
Historiquement, les gens imprégnés par la tradition intellectuelle rationnelle ont cantonné le soufisme à n’être qu’une simple préoccupation de type spéculatif, plus alimentée par les fantasmes de ses adeptes que par une vraie connaissance. Aujourd’hui, les chercheurs dans les domaines de la conscience humaine, de la physique quantique, de la biologie, de la chimie et de la psychologie en viennent à des conclusions qui rejoignent les principes du Tasawwuf. Par exemple, de nombreux scientifiques prennent désormais en compte l’interdépendance fondamentale de tous les phénomènes. Qu’ils parlent ou non en termes de divinité, leurs idées font écho à la prise de conscience mystique séculaire de l’Unité Divine. Construisant à partir de points de compréhension communs, les maîtres et les disciples du soufisme engagent les scientifiques dans le dialogue, travaillant ainsi à combler le fossé qui les sépare. Ils aident ainsi plus de personnes à reconnaitre les bénéfices d’une vision spirituelle de la vie.
Comme beaucoup d’autres disciplines, le soufisme a été influencé par des individus dépourvus d’une formation adéquate. En sont issues des formes altérées. Expliquer ce qu’est le soufisme nécessite donc de porter une attention particulière à ce qu’il n’est pas. Le soufisme ne concerne pas prioritairement le pouvoir ni l’intellectualisme. Il ne repose pas sur un mélange de techniques culturelles et de préoccupations relatives à l’égo, qui se traduisent par une quête d’amélioration des performances individuelles, de capacités de guérison, de pouvoirs psychiques, et autres. Il ne vise pas à assurer une vie confortable aux maîtres ou aux chefs d’organisations, ni à maintenir délibérément les disciples dans un état de mystification. Les occidentaux – toujours désireux de synthétiser – peuvent appréhender le soufisme comme un enseignement conçu pour unifier toutes les religions et les croyances. Mais ceci peut également dénaturer son objectif. Certes, le développement du potentiel spirituel de l’être humain peut atténuer l’intolérance, le fanatisme, les préjugés et les conflits. Mais ce ne sont là que des résultats secondaires de la voie soufie, et non pas ses objectifs.
Bien que les dérives abondent, par la grâce du Tout-Puissant, l’essence du soufisme perdure. En outre, le soufisme demeure pertinent, offrant des principes qui peuvent être utilisés comme bases à nos intentions et nos actions, même à l’ère post-moderne. Le chemin soufi favorise l’équilibre entre vie extérieure et pratiques intérieures – équilibre qui devient d’autant plus important que le rythme de vie actuel s’accélère.
D’autres formes d’enseignement se concentrent sur le mental ou le corps, sur le développement des compétences, les qualifications professionnelles ou encore le caractère. Le soufisme éduque le cœur. En développant la capacité infinie du cœur à sonder l’univers de la conscience, les disciples obtiennent des intuitions qui guident leur vie et servent de véhicules pour la compréhension de soi et de Dieu. Seul le cœur éveillé peut atteindre la conscience de Dieu ; le mental ne le peut pas. Ceux qui poursuivent le chemin soufi découvrent les secrets de l’éveil du cœur. Ils réalisent et vivent la connaissance révélée au prophète Muhammad (saws) qui a dit : « Vraiment, Allah a des réceptacles parmi les gens de la terre et les réceptacles de votre Seigneur sont les cœurs de Ses serviteurs vertueux et les plus aimés (par Lui) d’entre eux sont les plus doux et les plus tendres. » (Al Tabarani)